La femme active au YƩmen : une lutte pour la survie

Sanaa – Fatima Al Aghbari

Avec une seule machine Ć  coudre qu’elle a achetĆ©e avec ce qu’il lui reste de bijoux, Ibtissem a pu subvenir aux besoins de ces cinq enfants aprĆØs la mort au combat de son Ć©poux sur l’un des fronts embrasĆ©s au YĆ©men ces deux derniĆØres annĆ©es.

En plus de son Ć©poux, cette femme cinquantenaire a perdu son travail dans une Ć©cole, travail qui lui permettait de venir en aide Ć  son Ć©poux pour couvrir les besoins de la famille composĆ©e de 3 filles et de deux garƧons dont l’ainĆ© n’a pas dĆ©passĆ© 10 ans.

Om Hana (Ibtissem) s’est trouvĆ©e en face Ć  des circonstances que la guerre a imposĆ© aux yĆ©mĆ©nites et qui ont dĆ©cuplĆ© la responsabilitĆ© de la femme et l’ont rendu la catĆ©gorie sociale la plus touchĆ©e. Pour Ibtissem, le travail sur la machine Ć  coudre Ć©tait la seule alternative possible afin de subvenir au minimum des besoins de sa famille mĆŖme si c’est au prix de sa santĆ© et de son bonheur. 

En dehors d’Ibtissem, beaucoup d’autres femmes yĆ©mĆ©nites ont Ć©tĆ© poussĆ©es par les affres de la guerre Ć  vivre avec la tristesse et la misĆØre dans une lutte Ć¢pre et longue quand elles se sont trouvĆ©es investit du rĆ“le de chef de famille aprĆØs la mort de leurs Ć©poux ou aprĆØs la perte de son travail, devenant chĆ“meur, ou encore lorsque le mari, fonctionnaire de l’Etat, n’est pas payĆ© depuis plus de 9 mois.

La guerre, comme Ć  l’accoutumĆ©, a fait s’abattre sur les familles yĆ©mĆ©nites son lot de douleurs et tragĆ©dies et au premier rang des victimes il y a toujours la femme, qu’elle soit ouvriĆØre ou femme au foyer et qui a Ć©tĆ© investit par une responsabilitĆ© sans commune mesure avec ses capacitĆ©s. 

La guerre au YĆ©men, qui dure depuis plus de deux ans, a conduit Ć  l’arrĆŖt de 70 % des services du secteur privĆ©, l’économie s’est effondrĆ©e, les salariĆ©s du privĆ© se sont trouvĆ©s au chĆ“mage et ceux du secteur public ne sont plus payĆ©s depuis des mois. Cette situation a amplifiĆ© les souffrances des citoyens qui se sont retrouvĆ©s incapables d’assurer les conditions minimales de survie dans un pays dont l’économie frĆ“le la banqueroute totale. 

Combat :

AĆÆcha Mohram, mariĆ©e et mĆØre de 4 enfants,  ne pensait pas se retrouver un  jour luttant pour sa survie et celle de sa famille sans salaire et sans mari pour l’aider.

AĆÆcha qui a quittĆ© la rĆ©gion d’Eb (Centre du YĆ©men) pour aller Ć  Sanaa, travaillait au ministĆØre des affaires sociales et du travail avec un maigre salaire de 40 000 Rials (l’équivalent d’environ 115 dollars), qui malgrĆ© tout, lui assurait, avec la retraite de son mari, un bon niveau de vie, surtout qu’elle se dĆ©brouillait pour avoir un complĆ©ment de salaire Ć  travers des travaux de recherches sociales qu’elle faisait. Mais la guerre est arrivĆ©e et a mis fin Ć  cet Ć©quilibre fragile et la famille a vĆ©cu les affres des dĆ©placements et  des privations.

AĆÆcha raconte : Ā« Avant la guerre, on Ć©tait engagĆ© pour subvenir aux besoins de nos enfants, on payait rĆ©guliĆØrement notre loyer et d’autres dĆ©penses nĆ©cessaires. Aux dĆ©buts de la guerre j’ai rencontrĆ© beaucoup de difficultĆ©s Ć  assumer la responsabilitĆ©, surtout aprĆØs avoir quittĆ© mon travail et ma maison et aprĆØs s’être dĆ©placĆ©e Ć  notre village, prĆØs d’Eb. LĆ  j’ai Ć©tĆ© confrontĆ©e Ć  la raretĆ© de l’eau et Ć  la hausse des prix du gaz, et en plus j’ai dĆ» faire face Ć  l’impossibilitĆ© de trouver des places pour mes enfants Ć  la seule Ć©cole de notre village Ā».

AĆÆcha ajoute avec cette tristesse qui se dessine sur son visage fatiguĆ© et qui raconte toute une histoire des souffrances que les femmes actives au YĆ©men vivent actuellement : Ā« Quand je suis revenu Ć  ma maison, malgrĆ© les bombardements et les confrontations sanglantes en bravant la possibilitĆ© de notre mort Ć  tout moment, j’ai eu la mauvaise surprise d’apprendre que mon salaire a Ć©tĆ© arrĆŖtĆ© et que mĆŖme mon mari ne recevait plus la maigre pension de sa retraite . LĆ  a commencĆ© mon calvaire, car nous avons dĆ» faire face Ć  beaucoup de problĆØme et surtout celui du loyer non payĆ© qui s’accumulait, comme je n’ai pas pu payer les frais de scolaritĆ© de mes enfants qui ont dĆ» quitter l’école!! Ā».

Les souffrances d’AĆÆcha ne se sont pas arrĆŖtĆ©es lĆ , car son petits fils de 4 ans a eu le diabĆØte, dans des conditions sanitaires du pays aussi difficiles que les conditions Ć©conomiques. L’insuline gratuite Ć©tait introuvable  dans les hĆ“pitaux publics ce qui a poussĆ© AĆÆcha Ć  vendre le peu qui lui reste et Ć  s’endetter  pour assurer les soins de son enfant.

Le dƩfi

Sans beaucoup de choix, la femme yĆ©mĆ©nite a dĆ» dĆ©fier ses conditions et faire face Ć  la nouvelle rĆ©alitĆ© imposĆ©e par la guerre en cherchant un travail honorable pour manger Ć  sa faim, elle et ceux dont elle est responsable mĆŖme si ce travail est  simple et humble. C’est ce qu’A.S. a Ć©tĆ© amenĆ©e Ć  accepter, elle qui Ć©tait parmi les meilleures de sa promotion Ć  la facultĆ© où elle Ć©tudiait la microbiologie et ainsi elle est devenue productrice d’encens qu’elle vendait Ć  ses amies et connaissances.

A.S., trentenaire qui a choisie l’anonymat, raconte qu’elle n’avait pas pu attendre trop longtemps sans travail aprĆØs l’arrĆŖt de son salaire par le gouvernement. Elle et sa famille Ć©tait sous la menace d’être expulsĆ©es si les arriĆ©rĆ©s du loyer ne sont pas payĆ©s. Elle ajoute : Ā« la fabrication de l’encens ne suffit pas pour couvrir tous mes  besoins et ceux de mes trois enfants car elle ne rapporte pas gros mais c’est mieux que rien.. ! Ā».

Ghada Essakaf, une activiste de la sociĆ©tĆ© civile, rĆ©sume ses souffrances par l’arrĆŖt de versement de son salaire et aussi par ce que les nouvelles autoritĆ©s de Sanaa ont fait en remplaƧant beaucoup de fonctionnaires, titulaires de leur poste par les partisans d’un certain parti politique !

Entre une femme qui a perdu la raison et une autre qui a perdu son salaire, on trouve une 3ĆØme qui a fait preuve d’ingĆ©niositĆ© pour crĆ©er un travail Ć  travers lequel elle assume ses responsabilitĆ©s aprĆØs l’arrĆŖt du travail et du  salaire !

Anahid El Habachi, qui est une ancienne salariĆ©e du secteur privĆ©e raconte : Ā« j’étais employĆ©e dans une compagnie d’assurance maladie et je percevais un salaire d’environ 400 dollars, et quand j’ai eu une avance la guerre s’est dĆ©clarĆ©e et tout a Ć©tĆ© bouleversĆ© ! La Compagnie a dĆ» se sĆ©parer de tous les employĆ©s  et elle a fermĆ© ses portes devant nous. Je me suis retrouvĆ©e au chĆ“mage et j’ai cherchĆ© partout du travail en vain car toutes les portes Ć©taient fermĆ©es !Ā».

Anahid n’a pas acceptĆ© sa situation difficile. Elle a Ć©tĆ© amenĆ©e Ć  la crĆ©ation d’un projet privĆ© pour allĆ©ger ses charges, elle et ses deux enfants. MalgrĆ© le refus des banques de lui allouer un crĆ©dit pour son projet elle a dĆ» vendre tous ce qu’elle avait et a ainsi pu ouvrir une boutique de location de robes de mariage, ce qui lui a permis de rembourser ses dettes et d’assurer une vie digne Ć  sa famille.

Du journalisme Ć  la couture

Avec la continuation des souffrances de la femme active au YĆ©men, les histoires de privation et de la duretĆ© de la vie se multiplient, racontant la misĆØre subit par les femmes yĆ©mĆ©nites dans un pays dĆ©truit par la guerre.. 

B.N. est journaliste et mĆØre d’un petit garƧon, elle travaillait dans un organe gouvernemental et Ć©tait connue par son sĆ©rieux et son activisme rapportant des histoires variĆ©es publiĆ©es dans le quotidien le plus lu au YĆ©men.

La guerre est survenue pour mettre fin aux rĆŖve de rĆ©ussite et de performance de la jeune journaliste et pour transformer sa vie et celle de sa famille en cauchemar. Son salaire a Ć©tĆ© suspendu et son journal s’est contentĆ© d’une Ć©quipe rĆ©duite pour couvrir la guerre et ses hĆ©catombes, Ć©quipe dont B.N. ne faisait pas partie !

AprĆØs son Ć©chec Ć  trouver un autre travail dans un autre organe de presse, elle s’est efforcĆ©e d’apprendre la couture, mĆ©tier auquel elle n’a jamais pensĆ© comme elle l’affirme et elle ajoute qu’elle n’a pas encore pu trouver la somme nĆ©cessaire pour acheter une machine Ć  coudre qui ne coute que 100 dollars.

Des chiffres alarmants

MalgrĆ© la raretĆ© des rapports et des Ć©tudes qui s’intĆ©ressent aux femmes victimes de la guerre au YĆ©men, certains rapports dĆ©voilent des taux et des chiffres alarmants de ce que la femme yĆ©mĆ©nite a subit et subit encore.

Ainsi, un rapport de la Banque Mondiale de 2016 estime que 52% des 5 millions de femmes actives dans divers secteurs, ont ƩtƩ forcƩes Ơ des dƩplacements.

Un autre rapport d’ONG, rĆ©alisĆ© par l’avocate et activiste de la sociĆ©tĆ© civile yĆ©mĆ©nite  Ichrak Makteni et consacrĆ© Ć  la ville de Taaez (Sud du YĆ©men), a observĆ©, sur la pĆ©riode du 24 mars au 15 octobre 2015 que 900 ouvriĆØres et employĆ©es ont perdu 50 % de leurs revenus dans le secteur privĆ© et que 600 autres femmes dans le secteur libĆ©ral et saisonnier ont perdu leur travail.

La sous-directrice du dĆ©partement juridique de la commission nationale de la femme, Lobna El Qodsi, affirme dans une dĆ©claration au RĆ©seau des journalistes syndicalistes arabes, que les consĆ©quences les plus graves de la guerre sont supportĆ©es par la femme qui perd les services essentiels et  le travail surtout quand elle est forcĆ©e de se dĆ©placer dans des rĆ©gions Ć©loignĆ©es où elle ne trouve pas de travail et ne peut pas subvenir aux besoins de sa famille.

Le prĆ©sident du Centre d’information Ć©conomique, Mustapha Nacer, a dĆ©clarĆ© de son cĆ“tĆ©, que la femme active au YĆ©men a Ć©tĆ© une de plus grande victime de la situation sĆ©curitaire dans les rĆ©gions yĆ©mĆ©nites. M. Nacer confirme dans un entretien au RĆ©seau des journalistes syndicalistes arabes que : Ā« Bien que la proportion des femmes dans le marchĆ© de travail au YĆ©men soit trĆØs faible, cette proportion s’est encore rĆ©trĆ©cie Ć  cause de la guerre et des problĆØmes de sĆ©curitĆ© et de la peur des femmes qui travaillent !! Ā».

M. Nacer a fait observĆ© que partout le secteur privĆ© a toujours Ć©tĆ© prompt Ć  se dĆ©barrasser en premier lieu des femmes actives, chaque fois qu’une crise on une situation exceptionnelle se dĆ©clare comme c’est le cas avec la guerre au YĆ©men. Il a ajoutĆ© : Ā« dans les services publics, la femme est considĆ©rĆ©e comme le maillon faible car elle ne peut pas survivre et se dĆ©brouiller pour trouver des revenus supplĆ©mentaires quand le salaire est  suspendu comme le font les hommes qui trouvent d’autres emplois supplĆ©mentaires ou d’autres subsides !! Ā».

Le sociologue D. Foued Essalihi dans un entretien au RĆ©seau des journalistes syndicalistes arabes explique que : Ā«  la crise actuelle au YĆ©men est une de plus dure de son histoire et ses consĆ©quences nĆ©gatives apparaissent dans toute la sociĆ©tĆ© urbaine ou campagnarde. La crise a secouĆ© la sociĆ©tĆ© entiĆØre, hommes et femmes mais la femme ont  Ć©tĆ© la victime majeure Ć  cause de la structure sociale yĆ©mĆ©nite et de la faiblesse des valeurs sociales et religieuses dans la vie courante Ā».

D. Foued Essalihi ajoute que la femme yĆ©mĆ©nite subit une grande agression psychologique, sociale et Ć©conomique quand elle perd son mari sensĆ© la faire vivre, observant que la prise en charge des besoins de la famille par la femme est devenue d’une grande difficultĆ© surtout en l’absence de toute structure de solidaritĆ© ou d’assurance sociale et quand en plus la femme a perdu  son travail ou elle ne perƧoit plus de salaire.

Privation

Mais malgrĆ© tout ce que la femme yĆ©mĆ©nite endure et bien qu’elle soit la victime principale des affres de la guerre, en morts, en privation, en chĆ“mage et en insĆ©curitĆ©, la sociĆ©tĆ© Ā« machiste Ā»  continue Ć  priver la femme de tout doit y compris celui de se plaindre !!